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L'histoire a-t-elle un sens ?

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1. Analyse du sujet et du problème
a. Le mot « histoire » a deux significations différentes
En un sens que l'on peut qualifier d'« objectif », l'histoire signifie la suite des événements relatifs à l'homme qui ne se répètent pas.
Mais l'histoire signifie aussi l'étude de ces mêmes événements, c'est-à-dire l'étude de l'histoire : le mot a ici un sens «  subjectif », en tant qu'il dépend du travail, de l'enquête (en grec : historia) menés par des sujets humains.
b. Le mot « sens » a lui aussi deux sens
Il signifie une direction ou un but (« dans quel sens pars-tu ? »), de sorte que nous devons nous demander si l'histoire est orientée dans une direction précise, vers une fin ou un but déterminés. Cela revient à envisager la possibilité d'une téléologie de l'histoire, c'est-à-dire d'une étude (logos) de la fin (télos) de l'histoire.
Mais il peut aussi désigner la «  signification » (« quel est le sens de ce mot ? ») ; il s'agirait alors de se demander si l'histoire n'est qu'une suite absurde de hasards, ou si elle a une signification qu'il nous serait possible d'apercevoir, ou de reconstruire, grâce au travail propre de l'historien.
c. Deux questionnements
D'une part, il nous faut nous demander si l'histoire au sens objectif a, ou non, une orientation et une fin, et, par suite, si elle a une signification objective.
D'autre part, si l'histoire au premier sens n'a pas en elle-même et objectivement un sens, pouvons-nous, par l'étude que nous en faisons, lui en donner un ?

2. L'histoire a une fin et un sens : histoire et progrès
a. Les progrès perpétuels de l'humanité au cours de l'histoire
Si l'on s'interroge sur le cours de l'histoire humaine, on ne peut que constater qu'elle manifeste un progrès constant de l'humanité, dans le domaine technique par exemple ou dans celui des sciences : nos manières de vivre, nos connaissances, sont assurément plus avancées et développées que celles des premiers hommes.
Ce progrès, selon Hegel, ne fait que manifester le développement de l'Esprit ou de la Raison. L'histoire humaine doit alors être conçue comme progrès de la raison et de la liberté, qui constituent sa fin et son sens propres : « l'histoire universelle, écrit Hegel, s'est développée rationnellement » (La Raison dans l'histoire).
b. Objection : les ambiguïtés de la « perfectibilité » de l'homme
Ces progrès sont dus à ce que Rousseau appelait la « perfectibilité » de l'homme. Or cette notion n'implique pas seulement l'idée positive de progrès. L'homme est capable de changer parfois pour le meilleur, mais parfois aussi pour le pire : c'est la perfectibilité aussi qui, « faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue tyran de lui-même et de la nature. » (Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes).
D'où une possible objection : ne voit-on pas, au cours de l'histoire, nombre d'événements dramatiques se produire (guerres, génocides par exemple) qui marquent bien davantage une régression vers la barbarie qu'un progrès ?
c. Mais ces régressions ne sont telles qu'en apparence
D'après Hegel en effet, les maux eux-mêmes participent de la rationalité de l'histoire : l'esclavage par exemple fut un obstacle nécessaire pour que les hommes prennent conscience de l'exigence d'une liberté universelle.
Car la rationalité de l'histoire ne se manifeste pas par un progrès linéaire, mais de façon contradictoire ou dialectique : c'est en dépassant ou en s'opposant à un mal préalable le plus souvent que l'humanité progresse vers davantage de rationalité et de liberté.
Les périodes de stagnation ou de régression ne sont donc telles qu'en apparence et constituent en réalité un moyen pour la Raison de faire advenir par la suite un plus grand bien – la chute de l'Empire romain, par exemple, permettant l'avènement de régimes démocratiques plus libres en Occident. Les événements dramatiques, les actes passionnés, intéressés et égoïstes de certains individus (des « grands hommes » de l'histoire) ne sont ainsi qu'autant de « ruses » dont se sert la Raison pour mieux se réaliser au sein de l'histoire.
d. D'autres limites de l'idée d'une finalité historique
À cette conception de l'histoire comme orientée par et vers une finalité objective, on peut cependant opposer deux objections.
D'une part, l'affirmation d'une telle fin objective de l'histoire n'est-elle pas dogmatique et non justifiée si en effet l'histoire n'est pas achevée mais toujours encore à venir ?
D'autre part, cette vision finaliste ou téléologique ne nous amène-t-elle pas à méconnaître la singularité des événements et des personnages historiques en interdisant de les étudier en et pour eux-mêmes, mais en les considérant seulement comme un moment ou un moyen de réalisation d'une prétendue fin de l'histoire ?

3. L'histoire n'a pas de sens, mais nous lui donnons un sens : histoire et liberté
a. La « fin de l'histoire » n'est qu'une hypothèse heuristique
Si l'on ne peut prouver rigoureusement que l'histoire tend vers une fin objective, peut-être ne faut-il pas cependant renoncer totalement à cette idée, mais prendre garde seulement à ne pas l'affirmer de façon dogmatique.
Ainsi Kant remarque que, si l'on présuppose que l'histoire tend vers des « buts raisonnables et certains », on risque fort de ne construire alors qu'un « roman ». Mais il reconnaît qu'une telle idée, posée à titre d'hypothèse heuristique, c'est-à-dire d'hypothèse de recherche, est utile en tant qu'elle peut « nous servir de fil conducteur pour nous représenter ce qui ne serait sans cela qu'un agrégat des actions humaines, comme formant, du moins en gros, un système » (Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, proposition IX), c'est-à-dire un ensemble d'événements non pas purement désordonnés, mais liés entre eux de façon cohérente et compréhensible.
b. L'idée d'une fin de l'histoire a aussi une valeur pratique
Cette idée a en effet aussi un intérêt moral : poser l'idée d'un éventuel progrès indéfini de l'humanité, c'est se donner par là même la possibilité d'y travailler par soi-même (au lieu de désespérer d'emblée de l'avenir et de ne rien tenter pour l'améliorer).
Ainsi cette idée d'une finalité historique ne vise pas tant un progrès déjà accompli, que le progrès qu'il nous faut encore accomplir : « Sans cette espérance en des temps meilleurs, écrit Kant, aucun désir sérieux de faire quelque chose d'utile au bien général n'aurait jamais échauffé le cœur humain » (Sur l'expression courante : il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut rien).
c. Nous donnons un sens à l'histoire par nos décisions et par nos actions réelles
Seuls les hommes en effet, et non la nature et les animaux, ont une histoire : c'est qu'eux seuls disposent de cette liberté qui leur permet d'agir suivant des fins qu'ils ont rationnellement posées et de faire advenir des événements qu'ils ont librement voulus. « Avec l'homme, disait Engels, nous entrons dans l'histoire [...] et plus ils font eux-mêmes, consciemment, leur histoire, plus diminue l'influence d'effets imprévus, de forces incontrôlées sur cette histoire, plus précise devient la correspondance du résultat historique avec le but fixé d'avance » (Dialectique de la Nature, Introduction).
En nous fixant nous-mêmes des buts, et en les réalisant, nous faisons notre propre histoire, et ainsi, par notre liberté, nous lui donnons nous-mêmes sa fin tout autant que sa signification.

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