L'histoire est-elle une science ?
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On parle souvent en ce sens, non seulement de connaissance historique, mais encore de science historique : mais l'histoire est-elle, précisément, une science ?
D'autre part, on sait que la science doit être universelle, et ce aux deux sens du terme : elle doit être toujours vraie, mais aussi vraie pour tous. On dira aussi en ce sens qu'elle doit être « objective », c'est-à-dire ne pas dépendre d'une subjectivité particulière, ni varier selon les individus.
Il nous reste alors à nous demander si l'histoire est ou non conforme à ces divers critères de scientificité.
Mais ceci ne suffit pas encore à faire de l'histoire une science véritable, car, ainsi que l'écrivait Cournot dans son Essai sur les fondements de la connaissance, si « il n'y a pas d'histoire, dans le vrai sens du mot, pour une suite d'événements qui seraient sans liaison entre eux », il n'y a pas non plus d'histoire « là où tous les événements dérivent nécessairement et régulièrement les uns des autres, en vertu de lois constantes » - autrement dit, là où règnent la nécessité et l'universalité.
C'est en ce sens que Fénelon disait dans sa Lettre sur les occupations de l'Académie française que « le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays. Quoiqu'il aime son pays, il ne le flatte jamais...». Rien de moins scientifique en effet, que les histoires écrites par ceux qui ont eux-mêmes vécu les événements qu'ils étudient, tel César rédigeant la Guerre des Gaules, et se souciant moins de la vérité des faits narrés que des éloges qu'il fait de lui-même et des Romains.
De sorte que l'on pourrait dire avec D. Fustel de Coulanges dans ses Questions Historiques que la première règle que doit s'imposer tout bon historien est « d'écarter toute idée préconçue, toute manière de penser qui soit subjective ».
Mais, plus encore, il faut comprendre que l'historien ne doit pas renoncer à sa subjectivité propre, et ce pour deux raisons :
D'une part, il faut dire qu'une histoire absolument objective perdrait toute signification ; comment raconter « objectivement » l'assassinat de César ? Faut-il le réduire à une série de mouvements décrits à la manière de la science physique ? Ne faut-il pas au contraire tenir compte des composantes humaines, subjectives, de cet événement ?
D'autre part, l'histoire n'a de sens et d'intérêt pour nous que si l'historien va à l'encontre du passé muni de sa propre subjectivité, de sa faculté propre de compréhension envers des êtres lointains et différents de nous.
En ce sens, il faut dire que l'histoire appartient au domaine, non des sciences de la nature, mais des sciences dites « humaines », qui ont leurs exigences propres : si les phénomènes naturels doivent être expliqués suivant la seule catégorie causale, dira Dilthey, les phénomènes humains quant à eux requièrent d'être compris, c'est-à-dire interprétés et replacés dans leur contexte historique afin d'être rendus, par et pour nous, lecteurs et historiens du présent, signifiants.
Aristote, Seconds Analytiques, I, 2 et 8 : la science, connaissance causale et universelle.
Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, PUF, p. 1179-1180.
H. I. Marrou, De la connaissance historique, Seuil, p. 147-148 : sur « l'assassinat objectif » de César.
Ricœur, Histoire et Vérité, Seuil, p. 23-24 : sur la subjectivité propre à l'historien.
Dilthey, Le monde de l'esprit, Aubier-Montaigne, p. 150 : sur la distinction entre explication et compréhension, entre sciences de la nature et sciences humaines.
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