John Locke
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John Locke (1637-1704) représente, avec Thomas Hobbes,
la figure dominante de la philosophie anglaise du
XVIIe siècle. Deux grandes
problématiques sont au centre de son œuvre :
celle de la connaissance humaine (Essai sur l'entendement
humain), et celle de la morale et de la politique
(Traités du gouvernement civil). Les deux
œuvres paraissent la même année, en 1690.
Préconisant la tolérance religieuse (Lettre
sur la tolérance, 1689), et se faisant ainsi le
précurseur du siècle des Lumières, Locke
s'oppose néanmoins à l'athéisme, qui
demeure selon lui contraire aux moeurs de son pays. Plusieurs
religions peuvent donc coexister, et Locke va jusqu'à
réclamer l'égalité des droits pour tous
les cultes, ce qui a paru extrêmement choquant à
son époque. En envisageant la séparation des
pouvoirs de l'État et de l'Église, Locke peut
également être considéré comme le
précurseur de la laïcité. À la fin
de sa vie, il montra un vif intérêt pour le
problème de l'éducation (Quelques
pensées sur l'éducation, 1693).
Fuyant l'Angleterre, qui connaît en ce siècle
deux guerres civiles successives, Locke aura
séjourné en France durant sept ans (1672-1679),
et se sera ensuite exilé en Hollande. La
Révolution de 1688, consacrant l'accès au
pouvoir de Guillaume III d'Orange, lui permet de regagner
l'Angleterre l'année suivante.
Ayant lu Descartes (1596-1650), il s'oppose
à la théorie selon laquelle
« les sens nous trompent », et
sont essentiellement sources d'illusions ou d'erreurs.
Au contraire, selon Locke, seule l'observation du
réel peut être source d'idées
vraies. Les sensations fournissent les matériaux
pour la pensée. Dit encore autrement, nous
sommes incapables de penser sans l'expérience de
sensations préalables. Il ne peut donc exister,
comme l'affirme Descartes, d'idées
innées (idées « nées
avec moi »), c'est-à-dire
d'idées que contiendrait notre esprit à
notre naissance, bien avant toute expérience
sensible. Seules sont claires et distinctes, selon
Descartes, ces idées innées, comme par
exemple l'idée innée de l'existence de
Dieu. Les idées innées sont des
vérités que Dieu a mises dans l'esprit de
l'homme. Pour Locke, il est impossible que ces
idées innées, ces « marques
prétendument imprimées dans l'esprit de
l'homme », que celui-ci aurait reçues
« au tout début de son
existence », en les
« introduisant dans le monde en même
temps qu'elle » (Essai sur l'entendement
humain, Livre I, chapitre 2).
À travers les figures de Descartes et de Locke,
se trouve respectivement mis en opposition
l'idéalisme et l'empirisme.
Nihil est in intellectu quod non antea fuerit in
sensu : telle est la maxime de base de l'empirisme,
caractérisant la pensée de Locke. Rien
n'est dans l'intellect (dans la pensée) qui
n'ait d'abord été dans les sens. Au
fondement de toute connaissance, se trouve donc
l'expérience. Seules les sensations nous
permettent d'élaborer une
réflexion. Notre entendement est donc
conditionné par nos sens.
Les sens, selon l'expression de Locke,
« meublent la pièce jusqu'alors
restée vide ». Les idées et le
langage viennent après. C'est ainsi que
même avant de savoir parler, l'enfant
connaît la différence entre les
« idées de sucré et
d'amer ».
Locke conçoit l'esprit comme une
« table rase » (tabula
rasa) : il n'est, au départ, rien, et
vide de toutes les empreintes qui viendront s'inscrire
en lui à partir des informations que lui
donneront des sensations multiples, accumulées.
Le « contrat social », auquel
consentent les individus afin de créer une
société civile et d'accéder
à ce que seront nos « États de
droit », est au coeur de la pensée
politique de Locke, comme il l'a
été chez Hobbes (1588-1679) et le
sera chez Rousseau (1712-1778). Pour définir ce
qu'est le contrat social, il faut préalablement
définir ce qu'est l'état de nature : en
effet, l'accès à l'état social et
politique manifeste le passage d'un état
originaire - l'état de nature - à un
état supérieur, plus
élaboré, qui permettent aux hommes de
vivre dans une communauté transcendant leur
existence individuelle.
Contrairement à Hobbes, Locke ne
conçoit pas l'état de nature comme un
état de « guerre de tous contre
tous », mais comme un état au sein
duquel règne une sorte de bienveillance
réciproque entre les hommes. Les hommes,
à l'état naturel, coexistent donc de
manière pacifique. Ils obéissent à
la loi naturelle, émanant de Dieu, et
sous l'égide de la raison. La loi de la nature
équivaut à la vocation morale de l'homme.
Rousseau, né huit ans après la mort de
Locke, partagera cet avis : l'homme, selon
Rousseau, naît naturellement bon. La conception
de l'état naturel de l'homme, chez Locke
puis chez Rousseau, est donc radicalement
différente de celle que Hobbes a
élaborée.
Si, aux yeux de Rousseau, le passage de l'état
de nature à l'état social est rendu
nécessaire, c'est parce que l'homme,
créature perfectible, à la
différence de la créature animale, doit
développer les virtualités qui sont les
siennes. Si l'homme demeurait à
l'état de nature, il ne pourrait réaliser
l'humanité qui est en lui.
Cette idée n'apparaît pas chez Locke, et
on peut se demander en effet pourquoi l'homme
ressentirait le besoin de quitter cet état de
nature, où règne la loi naturelle,
elle-même identifiée à la raison et
à la morale. Les hommes sont, naturellement,
raisonnables et moraux. À ce titre,
l’état de nature, tel que Locke
l'envisage, représente déjà une
sorte d'état social, puisque la loi naturelle
gouverne l'homme. État de liberté
et d'égalité (contrairement
à ce que Hobbes envisage), on perçoit mal
pourquoi l'homme changerait de statut.
Locke explique néanmoins que l'état de
nature ne présente aucune garantie :
soit, en effet, les hommes obéissent
à la loi naturelle et rationnelle, et ils vivent
en paix, ce qui leur assure le bonheur. Soit
ils la transgressent, et ils sombrent alors dans
la guerre, et dans la misère,
poussés par des conflits par essence
déraisonnables.
En fait, l'état social est censé
conférer une dimension
juridique à l'état de nature,
qui en est dénué, apportant ainsi
aux individus une garantie de paix qui n'existe pas
à l'état de nature.
L'élaboration d'institutions politiques au
sein desquelles sont édifiées des lois
met ainsi fin à la précarité dans
laquelle les hommes se trouvaient.
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