Les séductions de la parole
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Identifier les domaines dans lesquels s'exerce la séduction de la parole.
- Le pouvoir de séduction de la parole peut être utilisé pour flatter, tromper ou pousser quelqu’un à agir contre son propre bien.
- Il peut également être utilisé pour convaincre un auditoire, par exemple en politique ou en droit, car les êtres humains sont tout autant mus par leur raison que par leurs émotions.
- La séduction est l’une des trois composantes essentielles de la rhétorique : plaire, instruire, émouvoir.
La séduction comporte deux aspects qui ne sont pas opposés mais plutôt situés de part et d’autre d’un axe qui va du pur agrément causé par la douceur, la courtoisie, l’amabilité, le rire, la grâce et l’innocence à, de l’autre côté, la tromperie, la tentation qui écarte du droit chemin, la manipulation par la flatterie, la ruse, la dissimulation, ou l’hypocrisie. Dans un cas, le plaisir est commun et sans arrière-pensée, dans l’autre, il s’agit surtout de se servir de l’autre pour aboutir à ses propres fins, son propre plaisir, éventuellement à ses dépens.
Comment se manifeste cette tension dans l’usage de la parole comme moyen de séduction ?
Les figures du mal ou du « côté obscur » utilisent des discours tentateurs qui mettent en avant la facilité, la puissance et la force du vice.
Tout commence par le plus célèbre des tentateurs, le Serpent qui invite Ève à goûter au fruit défendu par Dieu :
La femme répondit au Serpent : « Les fruits des arbres du jardin, nous pouvons en manger ; mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “ Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez point, sous peine de mourir ”. »
Le Serpent dit à la femme : « Vous ne mourrez point ; car Dieu sait que, du jour où vous en mangerez, vos yeux seront dessillés, et vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal. »
La femme vit que l’arbre était bon comme nourriture, qu’il était attrayant à la vue et précieux pour l’intelligence ; elle cueillit de son fruit et en mangea, puis en donna à son époux, et il mangea.
Leurs yeux à tous deux se dessillèrent, et ils connurent qu’ils étaient nus […].
Genèse, 3, 1-7
Dans le mythe de la Genèse, le Serpent, figure tentatrice, est présenté comme un animal « rusé », dont on devine les intentions malveillantes : piéger Adam et Ève pour qu’ils soient chassés du paradis. La tentation se situe ici dans leur volonté déraisonnable et démesurée d’égaler le dieu créateur.
On trouve un autre célèbre exemple de discours tentateur dans Les Mémorables de Xénophon. Dans l’apologue de Prodicos (court récit à visée morale), deux femmes (des allégories du vice et de la vertu) se présentent à Hercule, alors adolescent, et lui demandent de choisir l’une d’elles. La première femme s’adresse ainsi au futur héros :
— Et vous que je viens d’entendre, répondit Hercule, quel est votre nom ?
— Mes amis, dit-elle, me nomment la Félicité ; mes ennemis, mes calomniateurs, m’ont appelée la Volupté.
Les Mémorables, Xénophon, traduction par Eugène Talbot. Garnier-Flammarion, 1859.
Dans cet autoportrait extrêmement avantageux, la Volupté déploie les champs lexicaux du plaisir, de la facilité et des richesses. Or, faire preuve d’héroïsme implique d’accepter le chemin des épreuves, des travaux ou des défis, comme l’ont fait Bouddha ou Luke Skywalker. C’est également ce chemin qu’Hercule finira par suivre.
Dernière figure incontournable de la tentation : Méphistophélès, qui apparait dans la célèbre tragédie de Goethe, Faust. Heinrich Faust, vieux savant qui n’a finalement pas trouvé dans la science les réponses et la satisfaction qu’il espérait, se laisser tenter par le démon Méphistophélès, qui lui offre des plaisirs inouïs et étourdissants en échange de son âme :
Dans un tel esprit, tu peux te hasarder : engage-toi ; tu verras ces jours-ci tout ce que mon art peut procurer de plaisir ; je te donnerai ce qu’aucun homme n’a pu même encore entrevoir.
FAUST.
Et qu’as-tu à donner, pauvre démon ? L’esprit d’un homme en ses hautes inspirations fut-il jamais conçu par tes pareils ? Tu n’as que des aliments qui ne rassasient pas ; de l’or pâle, qui sans cesse s’écoule des mains comme le vif argent ; un jeu auquel on ne gagne jamais ; une fille qui, jusque dans mes bras, fait les yeux doux à mon voisin ; l’honneur ! belle divinité qui s’évanouit comme un météore. Fais-moi voir un fruit qui ne pourrisse pas avant de tomber, et des arbres qui tous les jours se couvrent d’une verdure nouvelle.
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Une pareille entreprise n’a rien qui m’étonne ; je puis t’offrir de tels trésors. Oui, mon bon ami, le temps est venu aussi où nous pouvons faire la débauche en toute sécurité.
FAUST.
Si jamais je puis m’étendre sur un lit de plume pour y reposer, que ce soit fait de moi à l’instant ! Si tu peux me flatter au point que je me plaise à moi-même, si tu peux m’abuser par des jouissances, que ce soit pour moi le dernier jour ! Je t’offre le pari !
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Tope !
Faust, Johann Wolfgang von Goethe, traduction par Gérard de Nerval, Garnier frères, 1877.
Parmi tous les discours flatteurs de la littérature, le plus efficace reste celui du renard des Fables de La Fontaine. Le corbeau, flatté par de belles paroles, oublie toute prudence et laisse tomber son fromage. La fable invite à se méfier de tous ceux dont les paroles sont trop mielleuses.
Tout discours séduisant n’a pas pour objectif de tromper, et les grands rhétoriciens s’accordent pour dire qu’il est tout autant nécessaire de plaire que d’instruire pour convaincre. Un orateur ou un écrivain maladroit, froid, sec ou trop austère ne saurait emporter l’adhésion de son auditoire ou de ses lecteurs. Car les êtres humains ne sont pas uniquement guidés par la raison ; leurs émotions influencent également leurs décisions.
Plaire est plus compliqué qu’instruire selon Pascal, car le plaisir est instable et capricieux. Chaque être humain, selon sa culture, selon l’époque et selon sa fantaisie propre, voire le moment de la journée, sera donc séduit de façon changeante et très variée.
Dans Le Pouvoir des fables, une fable sur les fables, La Fontaine met en scène un orateur qui veut alerter ses concitoyens des dangers qui les menacent. Mais sa rhétorique, trop violente et alarmiste, n’émeut pas l’auditoire. Personne ne l’écoute. Il choisit donc de raconter une fable à son auditoire, et soudain, la situation s’inverse : son auditoire est suspendu à ses lèvres. La Fontaine conclut ainsi :
Il le faut amuser encore comme un enfant.
Quel que soit l’âge, le sérieux et la dignité de son public, il ne faut jamais oublier la part légère, divertissante ou humoristique de son discours, sous peine d’ennuyer ou de déplaire.
Cette morale rappelle ce que Gorgias dit à Socrate : un spécialiste, s’il ne maitrise pas l’art de la parole, ne saurait convaincre un patient ; tandis qu’un rhétoricien, sans maitriser l’art de la médecine, peut être plus convaincant qu’un médecin dans son propre domaine.
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