Tite-Live, moraliste romain
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Pourtant, en règle générale, Tite-Live
n'exprime pas directement de jugement personnel sur les grands
hommes. Il recourt à des procédés plus
indirects et plus dramatiques : le caractère d'un
personnage apparaît par exemple dans les discours que
tient celui-ci, discours le plus souvent rapportés par
Tite-Live avec la plus grande liberté et parfois
même inventés de toutes pièces.
Le regard porté sur un personnage par les contemporains
qui le rencontrent joue également un rôle
très important. Par ces procédés,
l'objectivité de l'historien ne semble pas devoir
être remise en question. Au cours de la rencontre entre
Hannibal et Scipion l'Africain, le général
carthaginois affirme que son adversaire compte, avec Alexandre
et Pyrrhus, parmi les plus grands généraux du
monde, mais qu'aucun d'entre eux n'est comparable à
Scipion. Cette anecdote, complètement apocryphe, permet
à Tite-Live de caractériser indirectement
Scipion.
Reprenant une autre tradition antique, Tite-Live compare les
grands hommes entre eux. Ainsi confronte-t-il Fabius Cunctator
à Minucius, à Marcellus et à Scipion
l'Africain pour mettre en lumière les qualités
spécifiques de ce général romain.
Sur l'ordre de Scipion, il oublie sa passion coupable pour Sophonisbe et fait parvenir à celle-ci le poison pour se donner la mort. Sa valeur est telle qu'à l'âge de quatre-vingt douze ans, juste avant la troisième guerre punique, Masinissa est encore à la tête de son armée pour défaire les Carthaginois. Il ne fait aucun doute que Masinissa est l'un des grands héros de Tite-Live et, à de nombreuses reprises dans la suite de l'Histoire romaine, son nom est mentionné dans les discours aux peuples orientaux comme l'exemple de ce que doit être un roi allié. Tite-Live le présente comme « de loin le plus grand roi de son temps », un des meilleurs alliés de Rome, ce qui n'est autre qu'une attaque indirecte envers Philippe V de Macédoine.
Cependant, l'historien est sceptique quand Scipion prétend recevoir des messages divins : « Scipion s'imposait en effet par des qualités incontestable et en outre par une certaine manière de les mettre en valeur qu'il avait cultivée dès sa jeunesse : quand il prenait la parole en public, il faisait très souvent allusion à des apparitions nocturnes et à des avertissements divins, soit parce qu'il était naturellement superstitieux, soit parce qu'il voulait qu'on admette sans discussion son point de vue ou son avis. » (XXVI, 19).
De même, Tite-Live discrédite les récits
relatifs à la naissance miraculeuse de Scipion.
Malgré ce scepticisme, il admire en lui le meneur
d'hommes, le manipulateur.
Parallèlement, Tite-Live insiste sur le respect
scupuleux des rites religieux par le général
romain.
Le patriotisme de Scipion est démontré lorsque, tout jeune encore, il menace des patriciens romains sur le point de quitter l'Italie après le désastre de Cannes : Tite-Live le représente faisant irruption chez Caecilius Mettelus, brandissant son épée sur leurs têtes et leur faisant jurer par Jupiter de ne jamais déserter Rome. Ils jurent tous, « aussi épouvantés que s'ils se trouvaient en présence d'Hannibal » (XXII, 53).
Par ailleurs, l'historien ignore délibérément la tradition historique qui fait de Scipion un homme à femmes : Tite-Live le représente au contraire comme un stoicien accompli, qui enseigne à ses subordonnées l'importance de contrôler ses passions. De même, Tite-Live, peu au fait des questions de stratégie, juge les qualités militaires de Scipion sur un plan uniquement moral. Par exemple, il condamne les embuscades et les ruses, jugées indignes de l'armée romaine : elles sont pour lui assimilées à la tromperie et à la fourberie carthaginoises. Or, l'une des opérations les plus réussies de Scipion est d'avoir mis le feu aux camps ennemis au cours de l'hiver 204/203 : le général romain avait auparavant envoyé des espions pour étudier la disposition des lieux, sous couvert de négocier une paix supposée. Cela embarasse Tite-Live qui réécrit donc l'histoire et invente, dans les revendications de paix carthaginoises, un prétexte quelconque mais légitime pour le général romain de rompre les négociations.
Pour Tite-Live, seules comptent les vertus morales de
Scipion l'Africain. Tous les traits compromettants ou
dérangeants de son caractère ont
été supprimés ou modifiés pour
permettre à Tite-Live d'en présenter un portrait
édifiant.
La guerre contre Hannibal terminée, Scipion est peu
à peu oublié : sa tâche historique est
terminée.
Même si Tite-Live concède des qualités à Hannibal, comme son endurance, son courage ou son autorité, il stigmatise chez le général carthaginois l'impiété, la sauvagerie et surtout l'orgueil, sans jamais mettre en valeur son sens supérieur de la stratégie militaire.
On le voit, les convictions morales et patriotiques de
Tite-Live le conduisent naturellement à présenter
les grands hommes romains comme l'incarnation
parfaite des grandes vertus stoïciennes, comme la
prudence, le courage, la justice et la modération.
Pour ce faire, l'historien n'hésite pas à
insister sur les traits qui l'intéressent et qu'il
souhaite mettre en lumière, quitte à omettre ou
déformer les autres. C'est bien sous l'emprise d'un
grand projet politique, moral et philosophique, et non
par erreur, que Tite-Live a incontestablement
réécrit à sa façon l'histoire de
Rome.
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