L'entremetteuse, personnage de comédie, dans l'élégie 5
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Le terme « entremetteuse » est donc impropre, puisque le plus souvent les courtisanes lui appartiennent. Celles-ci sont des prostituées de condition servile, belles et recherchées, mais chères, et quelques amants seulement jouissent de leurs faveurs.
Cependant, certaines courtisanes sont de condition libre et choisissent leurs amants. En cela, les courtisanes jouent le rôle de véritables « maîtresses » avec qui les jeunes gens de bonne famille peuvent entretenir une relation intime et passionnelle.
L'entremetteuse est, le plus souvent, une ancienne courtisane elle-même entrée au service d'une plus jeune, laquelle peut parfois être sa propre fille :
SYRA – « Vois-tu, ma petite Sélénium, les femmes comme nous, il faut qu'elles serrent les coudes, comme savent si bien le faire les bourgeoises de bonne famille, qui s'y entendent pour réaliser entre elles l'unité d'action... Ta mère et moi, nous n'étions que des affranchies. C'est la raison pour laquelle l'une et l'autre nous sommes devenues des courtisanes. Et puis l'une et l'autre nous avons eu une fille, née de père inconnu évidemment, et c'est pour ne pas mourir de faim que j'ai fait faire à la mienne le même métier que moi.
SELENIUM – « Mais il aurait mieux valu la marier. »
SYRA – « Pour cela, ne t'inquiète pas ! Tous les jours, elle se marie : elle s'est mariée aujourd'hui même, et elle se mariera encore cette nuit ! Jamais je ne l'ai laissé dormir seule. Car si elle ne se mariait pas, le garde-manger serait vide. »
(Plaute, Cistellaria, acte I, scène 1, 22-45.)
Dans une de ses élégies, Ovide déclare :
« Tant qu'il y aura un esclave rusé, un père intraitable, une entremetteuse malhonnête et une courtisane caressante, Ménandre vivra. » (Amours, I, 15, 16.)
Plus tard, les comédies latines de Plaute (254-184 av. J.-C.) ou de Térence (190-159 av. J.-C.), adaptées de la comédie grecque, reprennent naturellement ce personnage comique, qui ne porte parfois d'autre nom que celui de lena.
Dans le schéma actantiel de la comédie, la
lena remplit presque toujours la fonction
d'opposant : l'entremetteuse est celle qui
« se met entre », qui interfère et
s'oppose à l'amour des personnages principaux. Sur
scène, l'acteur qui joue le rôle de
l'entremetteuse porte le masque d'une vieille femme aux yeux
louches.
Elle est « la louve », car le sens
de lupa en latin est d'abord attesté comme
« la courtisane », « la
prostituée » (d'où le
« lupanar », lieu de débauche,
maison de prostitution) avant même celui de
« la femelle du loup ». C'est un
personnage cupide, telle Syra donnant ce conseil
à une courtisane :
« N'aie pitié d'aucun amant,
dépouille, mutile mets en pièces celui que tu
auras trouvé. »
(Térence, L'Hécyre.)
L'une d'entre elles, Cléérète,
décrit avec cynisme son métier :
« Notre métier est exactement comme celui de
l'oiseleur. Quand l'oiseleur a préparé un
endroit, qu'il a répandu de la nourriture, les oiseaux
s'habituent à venir ; il faut engager des fonds
quand on veut gagner quelque chose. Les oiseaux viennent
souvent manger ; une fois qu'ils sont pris, ils paient
leur dette à l'oiseleur. C'est la même chose ici
chez nous notre maison, c'est le terrain de chasse ; moi,
je suis l'oiseleur ; l'appât, c'est la fille ;
le lit est l'appeau, les amants sont les oiseaux. Les paroles
de bienvenue les apprivoisent, et puis les mots charmeurs, les
baisers, les douceurs, les discours gentils et tendres. Si un
amant caresse le bout d'un sein, cela fait l'affaire de
l'oiseleur ; s'il prend un baiser on peut le prendre, lui,
sans filet. »
(Plaute, Asinaria, acte I, scène 3, 215-225.)
« Les portes des maisons de filles sont toutes
pareilles aux barrières des péages ; si on
paie, elles s'ouvrent ; si l'on n'a rien à donner,
la maison ne s'ouvre pas. »
(Plaute, Asinaria, acte I, scène 3, 7-9.)
Mais surtout, la plupart des poètes élégiaques, Catulle (87-54 av. J.C.), Properce (47-15 av. J.-C.) ou Ovide (-43 à 17 ap. J.C.), reprennent à leur compte ce personnage ennemi de Vénus et trouvent en elle un prétexte à se lamenter sur leurs amours contrariées. Dans ce rêve du poète, elle est interprétée comme un oiseau de mauvais augure :
« La corneille qui, de son bec pointu, fouillait le poitrail, c'est la vieille entremetteuse qui changera les sentiments de ton amie. »
(Ovide, Amours III, 5, 39-40.)
Properce (Elégies, IV, 5) et Ovide
(Amours, I, 8) vont jusqu'à consacrer une
élégie entière à la figure de
l'entremetteuse. Cependant, dans l'élégie, la
tonalité pathétique et fantastique l'emporte
généralement sur la tonalité comique.
La lena est assimilée à une
« sorcière rapace » (Tibulle,
Elégies, I, 5, 60) et comparée aux
êtres femelles les plus démoniaques de la
mythologie, les Harpyes. Telle une strige, l'entremetteuse est
un être inhumain doué de pouvoirs contre
nature :
« Hardie jusqu'à enchanter la lune et lui
imposer ses lois, jusqu'à prendre la forme d'un loup la
nuit, elle aveuglerait les maris les plus
sévères. »
(Properce, Elégies, IV, 5, 13-15.)
Les poètes élégiaques font d'elle « une louve » assoiffée de sang et d'argent, surenchérissant dans l'horreur avant de la couvrir d'insultes et d'imprécations.
Pourtant, dans l'élégie 6, Tibulle rend
grâce à la mère de Délie lorsque, la
nuit, elle joue, au fond, le rôle d'une entremetteuse
bienveillante :
« C'est elle qui t'amène à moi dans
les ténèbres et, toute tremblante, unit
secrètement nos mains, sans rien dire »
(v. 59-60). Ovide rend également hommage à
la lena, considérant finalement que la
poésie érotique a quelque chose d'une
entremetteuse ! C'est l'élégie
personnifiée qui parle :
« Un peu rustique serait sans moi Vénus, la
mère du voluptueux Amour : je suis née pour
servir d'entremetteuse et de compagne à cette
déesse. »
(Ovide, Amours, III, 1, 44-45.)
Figure éminemment négative, personnage odieux qui
empêche l'amour ou lui retire toute sa
spontanéité, image d'une femme vénale et
déchue, l'entremetteuse trouve chez Tibulle comme chez
tous les poètes élégiaques, ou les
poètes comiques et satiriques, son lot de railleries et
d'insultes.
La haine qu'elle inspire est à la mesure de la
déception amoureuse du poète, qui trouve en elle
une figure expiatoire : n'est-il pas
préférable pour le poète de ne plus
être aimé à cause d'une entremetteuse
qu'à cause de lui-même ?
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