La figure de Don Juan
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On pourrait dire que Don Juan manifeste par là la nature et le problème propres du désir humain et de son caractère « sans fin » : comme le voulait déjà Platon dans le Gorgias, nos désirs sont comme un « tonneau des Danaïdes » qu’il faut remplir sans cesse, et qui ne peut jamais être comblé.
Don Juan semble d’ailleurs trouver plaisir à faire le mal pour le mal – à faire et dire exactement cela que tout un chacun désapprouve, en un désir que l’on pourrait dire de transgression : obliger un pauvre à jurer en échange d’une aumône par exemple.
C’est ce qui explique que le désir soit indéfiniment renaissant, tandis que l’amour peut être durable : une fois l’objet ou le corps possédés et le désir satisfait, celui-ci en appelle à des objets toujours nouveaux, au lieu que la relation amoureuse ne s’épuise ni ne se satisfait jamais au contact de l’autre : dans l’échange de paroles comme dans la relation charnelle alors, il reste toujours en l’autre de l’inconnu, de l’inaccessible, qui laissent subsister le désir.
A cette figure idéale de l’amour s’opposerait alors précisément celle de Don Juan.
Mais ceci peut être discuté : la liberté humaine ne réside-t-elle pas aussi dans une capacité raisonnée à limiter, à choisir, à orienter au mieux ses désirs ? Le fait de céder toujours à l’immédiateté du désir, l’incapacité à apercevoir aucune valeur plus haute que celle-ci, ne revient-il pas au contraire à perdre toute liberté et tout choix ?
Cette difficulté se trouve confirmée si l’on aperçoit que Don Juan ne parvient en aucun cas à se rendre heureux – ce dont la damnation finale serait la représentation métaphorique dernière : Don Juan se condamne lui-même à n’être pas heureux, précisément parce que la nature même de sa quête le condamne à ne trouver jamais cet état de satisfaction absolu et stable qu’est le bonheur. Une liberté sans limites qui condamne à une éternelle insatisfaction est-elle vraiment la forme la plus haute de la liberté humaine ?
Ainsi l’on pourrait dire pour finir que la figure de Don Juan est emblématique – et par là même, mythique – à deux égards surtout :
- D’une part, en ce qu’elle représente, négativement, la difficulté propre de l’existence et du désir humains, voués à ne poursuivre jamais que des objets finis de façon indéfinie, sans fin dernière autre que le coup d’arrêt brutal de la mort qui signe précisément notre finitude.
- D’autre part, parce que positivement elle nous enseigne peut-être la possibilité de cela même qui fait défaut à Don Juan : possibilité de découvrir en notre existence et surtout peut-être en celle de l’Autre une valeur et un objet plus hauts, susceptibles d’être respectés, aimés, ou désirés, de façon pour ainsi dire inlassable, nous donnant ainsi également une satisfaction, voir un bonheur, durables.
1. Les textes fondamentaux
Tirso de Molina, Le trompeur de
Séville : la première
version théâtrale de la figure de Don Juan, qui
a inspiré les suivantes.
Molière, Dom Juan, ou le
Festin de pierre, Hatier, coll.
« Théâtre et mises en
scène », 1985 (et multiples éditions
de poche et scolaires).
Mozart W. A., Don
Giovanni, multiples versions et
éditions.
Baudelaire C., « Don Juan aux
Enfers », in Les Fleurs du
Mal.
2. Etudes sur Don Juan
Camus A., Le mythe de
Sisyphe, II, 1 : « Le don
juanisme », Pléïade, Œuvres
complètes, pp. 152 sqq.
De Rougemont D., L’amour
et l’occident, Plon, coll. 10/18, pp.
228-233, sur l’antithèse Tristan – Don
Juan.
Kierkegaard, « les étapes
érotiques spontanées ou l’érotisme
musical », in Ou bien… ou
bien…, Gallimard, en particulier pp.
71-78, sur l’infini du désir et la
séduction.
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